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ENTREPRISE LIBÉRÉE ET FONCTION COMMERCIALE

Au cours de cette collaboration entre les DCF et IDRAC Business School à la réalisation d’un livre blanc sur le thème de « l’Entreprise libérée et la fonction commerciale », pouvez-vous nous livrer votre analyse de cette expérience et les enseignements que vous retirez de la présentation de ce travail au congrès de Deauville. Entretien avec Jean-Pierre ROY.

 

« Nous avons travaillé avec ma collègue Karine Merle qui est enseignante-chercheur et Coordinatrice du Département Management IDRAC Business School et une équipe de 5 étudiants de Bac +5 sur le thème de l’entreprise libérée et la fonction commerciale tout au long de l’année académique 2015-2016 pour concevoir ce Livre Blanc qui a été présenté au congrès national des DCF à Deauville le 27 Mai dernier.

Au-delà du livrable et de ses conclusions globalement confiantes en l’avenir de ce concept managérial pour la fonction commerciale, cette démarche a également livré des enseignements intéressants sur la manière dont nos étudiants appréhendent l’entreprise libérée et comment ils définissent ce que doit et ne doit pas être une entreprise libérée, et plus largement sur les enjeux qui planent au-dessus de ce concept.

Le premier de mes constats est que libérer l’entreprise est un projet qui prête finalement moins à discussion aux yeux de nos étudiants sur le fond que sur la forme, c’est-à-dire moins sur l’esprit et les finalités poursuivies que sur la manière de faire fonctionner efficacement une entreprise libérée. Pour eux, une entreprise libérée c’est une entreprise agile à répondre au  marché, à l’écoute de ses collaborateurs, qui se soucie de leur bien-être, qui s’allège hiérarchiquement, qui considère chacun de ses collaborateurs avec la même attention, une entreprise comme cela c’est « a great place to work »! Mais attention, une entreprise qui se définit un « ethos » managérial plus humain et adopte un style « cool », n’en est pas moins une entreprise dirigée.

Le second constat est celui d’un parallèle intéressant entre les théories X et Y développées dans les années 1960 par Douglas McGregor et utilisées en ressources humaines et en comportement de l’organisation et le concept de générations X et Y qui lui fait écho avec quelques années de décalage.

Ces deux théories X et Y s’opposent diamétralement entre elles et expliquent bien la réalité du clivage entre les modèles d’entreprises qu’elles génèrent puisque la première suppose que l’homme n’aime pas travailler et que la seconde affirme tout simplement l’inverse.

Dans la théorie X et du fait du postulat de l’aversion naturelle de l’être humain pour le travail et les responsabilités, les salariés ne fournissent l’effort attendu que sous la contrainte ou contre récompense, ils préfèrent être dirigés plutôt que diriger, préfèrent la sécurité au risque et ne déploient vraiment leur intelligence que pour contourner les règlements !

La théorie Y prétend tout le contraire. Faire des efforts et s’engager dans son travail est tout aussi naturel que s’amuser et se reposer. Le contrôle et la sanction ne sont pas les seules façons de faire travailler les collaborateurs, bien au contraire, l’individu sera encore plus capable de se réaliser si on l’associe aux buts de l’organisation et si son travail lui apporte de réelles satisfactions. Dans ce contexte, son engagement envers l’organisation et sa loyauté vont naturellement augmenter. Avec la théorie Y, c’est une toute autre philosophie qui est à l’œuvre : l’homme aime apprendre et il a fondamentalement besoin du travail pour se développer. Dans de bonnes conditions de travail, non seulement il accepte, mais il recherche les responsabilités. La vision que la théorie Y prône, c’est une vision de l’Humain avec un grand H, celle d’un collaborateur motivé par le désir de se réaliser, pleinement acteur de sa vie. Cela débouche sur une organisation sociale toute différente dans laquelle il est tout simplement préférable et plus efficient de laisser les collaborateurs s’auto-organiser plutôt que de les contrôler.

De fait, il y a un parallèle tout à fait  saisissant entre les concepts de Génération X et Y et les théories X et Y.

La génération X (qui est la mienne) est le nom donné à la génération[] des Occidentaux nés entre 1966 et 1976, intercalée entre celle des baby-boomers (nés environ entre 1943-1966), et la génération Y. Ce qui caractérise la « génération X » auréolée de nombreux progrès technologiques est de vivre une transition sociale importante. Arrivée juste après les baby-boomers cette génération a vécu plusieurs creux de vague au niveau professionnel, trouvant difficilement des emplois stables et passant d’une crise économique à l’autre.

La génération Y[1] à laquelle appartiennent nos étudiants regroupe des personnes nées entre 1980 et le milieu des années 1990[]. Le succès de la notion de génération Y dans les entreprises prend appui sur un déphasage important entre les besoins et attentes des jeunes de la génération Y et le mode de fonctionnement de l’entreprise X. Ce fossé générationnel s’explique par une accélération du changement technologique et par l’avènement de la société digitale qui a transformé les valeurs de référence. Les grandes institutions sont désormais  moins influentes à leurs yeux que ne le sont l’Internet, la télévision et les réseaux sociaux.

Les Y ont besoin de sens, ils ont beaucoup de mal à exécuter des tâches dont ils ne comprennent pas l’utilité et entretiennent un autre rapport à l’autorité tout à fait différent des X. La légitimité de la hiérarchie ne repose pas du tout sur les mêmes mécanismes et représentations sociales que celles de la génération X. Les Y voient l’autorité comme le noyau central de l’organisation plutôt que comme le sommet d’une structure hiérarchique. Ils désirent participer à la prise de décision, à la détermination des objectifs et à l’assignation de responsabilités ce qui fait d’eux de véritables acteurs.

L’idée renforcée par la proximité que nous avons eu avec les étudiants sur ce thème de l’entreprise libérée est celle d’une symétrie intéressante entre le couple des théories X etY  et le couple générationnel X et Y, qui amène mon dernier constat.

Ce troisième et dernier constat que j’ai pu faire au cours de la restitution et des échanges avec les DCF à Deauville est celui d’un  parallaxe, c’est à dire que la position de l’observateur a un effet déterminant sur ce qu’il perçoit et sur la manière dont il appréhende le concept d’entreprise libérée, chacun à son point de départ sur la question  indépendamment de la génération à laquelle il appartient. C’est pourquoi, il est nul besoin d’être de la génération Y pour conduire un management d’entreprise libérée Y, certains X le démontrent de manière indiscutable comme il n’est pas encore prouvé qu’un management Y ne soit pas un modèle  X conceptuellement rajeuni.

Pour conclure, il apparait à ce stade de développement du phénomène que l’ensemble de la position des dirigeants commerciaux de France ne se définit pas simplement entre des défenseurs du X et des avocats du Y, mais dans une combinaison propre à chaque organisation et groupe sociale selon ses caractéristiques et ses postulats de départs comme le récapitule la matrice ci-dessous.

Fig 1 : Matrice des typologies d’entreprise Génération/ Management
Management Y-X Y-Y
X-X X-Y
Génération

 

 

 

 

 

On retrouve bien au travers de ces quatre situations archétypales la diversité des avis des chefs d’entreprise que nous avons rencontrés, celui des dirigeants commerciaux de France comme celui de notre jeune génération d’étudiants par rapport à cette période de libération managériale. Adoptée dans certains cas, accompagnée dans d’autres ou plus ou moins ignorée encore par beaucoup, alors même que se profile la génération Z, il apparait plus évident encore que l’enjeu pratique de cette question de libération des énergies entrepreneuriales est fondamental pour la compétitivité et la pérennité de nos entreprises.

Que l’on adhère ou pas à toutes les facettes des concepts mobilisés par l’entreprise libérée, il y a une chose dont nos entreprises commerciales ne peuvent pas faire l’économie c’est de repenser leur organisation à la lumière de ces réalités sociales, générationnelles et managériales qui se sont mises en mouvement, et à minima de modifier leur point d’entrée dans cette question, ce qui en soit sera déjà un énorme progrès.

Jean-Pierre ROY

Publié le 4 juillet 2016